Le mot « siècle » dans les textes publiés en Angleterre au 16e siècle

Mots et usages d'une catégorie historiographique

Le mot « siècle » dans les textes publiés en Angleterre au 16e siècle

Ainsi qu’il apparaît dans l’Apologie pour Hérodote d’Henri Estienne (voir le billet de Mathieu de La Gorce, Le mot siècle dans l’Apologie pour Hérodote d’Henri Estienne…), le mot « siècle » est fréquemment employé au seizième siècle pour désigner la période contemporaine à l’auteur de l’ouvrage, souvent précédé d’un déictique (démonstratif ou possessif), dans le cadre d’une évaluation comparative des mœurs du temps présent et de celles du passé ou d’autres pays. Dans la traduction anglaise du texte d’Estienne, qui paraît en 1607 à Londres[1], le mot « century », qui s’est depuis imposé pour désigner une période de cent ans (comme « siècle » en français), n’est pas utilisé : ce sont « time(s) » et « age(s) » qui lui sont préférés, sans qu’il semble se dégager de critères dans le choix de l’un ou l’autre. « Century » figure bien, une fois, dans la dédicace du traducteur, mais plutôt dans le sens de « centaine » que pour faire référence à un nombre d’années[2] ; il y est question de « diuers Centuries of our strangest moderne histories (as an abridgement of the wonders of former Ages) » (¶4). (voir mon billet The passing of time and all of its crimes)

À l’époque de la publication de l’Apologie, la langue anglaise occupe une position marginale en Europe, étant très peu parlée sur le Continent, alors que le français et l’italien jouissent d’un capital culturel considérable en Angleterre. Il se publie un nombre important d’ouvrages dans ces deux langues dans les îles Britanniques, ce qui reflète la densité des échanges. Grâce à la base de données EEBO-TCP (Early English Books Online – Text Creation Partnership[3]), il est possible de rechercher les emplois du terme « siècle » (en français) dans les textes publiés en Angleterre sur une période choisie, afin de varier l’angle d’approche sur les inflexions que prend ce mot dans les textes publiés en France. Si l’on sélectionne la période 1500-1600, on obtient des résultats dans 11 ouvrages (classés par ordre chronologique de publication) :

1.Anonyme, Christian prayers and meditations in English French, Italian, Spanish, Greeke, and Latine, Londres, John Day, 1569 ; 344p. Il s’agit d’une compilation attribuée à Richard et John Day, à tort d’après les informations fournies par EEBO-TCP, qui précise également que la première section est reproduite d’un recueil assemblé par Henry Bull, Christian Prayers and Holy Meditations, publié pour la première fois en 1568. 5 occurrences (« Action de Graces » ; « L’oraison pour le soir »).
2.Lodovico Guicciardini, The garden of pleasure contayninge most pleasante tales, worthy deeds and witty sayings of noble princes [et] learned philosophers, moralized. No lesse delectable, than profitable. Done out of Italian into English, by Iames Sanforde, Gent. Wherein are also set forth diuers verses and sentences in Italian, with the Englishe to the same, for the benefit of students in both tongs, trad. James Sandford, Londres, Henry Bynneman, 1573 ; [4], 111, [1] feuillets. Il s’agit de la traduction de : L’hore di ricreatione (Anvers, G. Silvio, 1568), d’abord paru à Venise sous le titre Detti et Fatti (1565[4]). 1 occurrence (dédicace, np).
3.Nicholas Barnaud (sous le pseudonyme d’Eusèbe Philadelphe), Le reveille-matin des Francois, et de leurs voisins. Composé par Eusebe Philadelphe cosmopolite, en forme de dialogues, Édimbourg, Jaques James, 1574 ; 192p. 2 occurrences (p.93 et 157).
4.William Cecil (Baron Burghley), L’execution de iustice faicte en Angleterre pour maintenir la paix publique & chrestienne, contre les autheurs de sedition, adherens aux tristres & ennemis du royaume: sans aucune persecution contre eux esmeuë, pour matiere de religio[n], commeil a esté faucement aduancé & publié par les fauteurs & nourriciers de leurs traisons. Descrite premierement en Anglois, puis traduite en langue Franc̜oise, en faueur de autres nations & personnes, qui ont l’vsage d’icelle, Londres, Thomas Vautrollier, 1584 ; 66 pages (la suite du volume est une autre publication, également traduite de l’anglais en français). Il s’agit de la traduction de : The execution of iustice in England for maintenaunce of publique and Christian peace, against certeine stirrers of sedition, and adherents to the traytors and enemies of the realme, without any persecution of them for questions of religion, as is falsely reported and published by the fautors and fosterers of their treasons, Londres, Christopher Barker, 1583. Il existe également une version italienne (Atto della Giustitia d’Inghilterra, esseguito, per la coseruatione della commune [e] christiana pace contra alcuni feminatori di discordie, [e] seguaci de ribelli, [e] denemici del reame, [e] non per niuna perfecutione … Traslatato d’inglese in vulgare, Londres, John Wolfe, 1584), une version latine (Justitia Britannica per quam liquet perspicue, aliquot in eo regno perditos cives, seditionis et armorum ciuilium authores, regniq[ue]; hostium propugnatores acerrimos, vt communi Ecclesiæ reiq[ue], Londres, Thomas Vautrollier, 1584), et une version en néerlandais (D’executie van iustitie tot onderhoudinge vande publicke en christelicke vrede in Engelandt ghedaen, teghen seker oproermakers … Ouergheset vuyt het Enghelsche, Middelburg, Richardt Schilders, Drucker der Staten van Zeelandt, 1584). 1 occurrence (p.42-43).
5.Jacques Le Moyne de Morgues, La clef des champs pour trouuer plusieurs animaux, tant bestes qu’Oyseaux, auec plusieurs fleurs & fruitz, Londres, Thomas Vautrollier pour Jacques Le Moyne, 1586 ; 50 feuillets (3 pages de dédicace et 47 pages d’illustrations légendées en latin, français, allemand, anglais). 1 occurrence (dédicace).
6.Anonyme (« Gentilhomme françois »), Discours politique, tres-excellent pour le temps present: composé par vn gentil-homme Francois, contre ceulx de la Ligue, qui taschoyent de persuader au Roy, de rompre l’Alliance qui’il a auec l’Angleterre, & la confirmer auec l’Espaigne, Londres, John Wolfe, 1588 ; 84 pages. 2 occurrences (p.11-12 et p.56).
7.Henry Constable, Examen pacifique de la doctrine des Huguenots Prouuant contre les Catholiques rigoureux de nostre temps & particulierement contre les obiections de la response faicte a l’Apologie Ctholique [sic], que nous qui sommes membres de l’Eglise Catholique Apostolique & Romaine ne deurions pas condemner les Huguenots pour heretiques iusques a ce qu’on ait faict nouuelle preuue, Londres, John Wolfe, 1589 ; [14], 128 pages. 3 occurrences (Epistre au lecteur, p.29-30, p.39-40).
8.George Puttenham, The arte of English poesie Contriued into three bookes: the first of poets and poesie, the second of proportion, the third of ornament, Londres, Richard Field, 1589 ; [8], 84, [8], 85-92, 101-25 [i.e. 258], [6] p. 1 occurrence (Livre II, chap. XI, p.85).
9.Anonyme, Discovrs av vray de ce qvi s’est passé en l’armee conduicte par sa Majesté, depuis son aduenement à la Couronne, iusques à la prinse de la ville de Honfleu, au mois de Ianuier. 1590, Londres, Jean [=John] Wolfe, 1590 ; 74 pages. 3 occurrences (p.11, p.19, p.74).
10.José Teixera ou Antonio Perez, Traicte paraenetique c’est à dire exhortatoire auquel se montre par bonne & viues raisons, argumens infallibles, histoires tres-certaines, & remarquables exemples, le droit chemin & vrais moyens de resister à l’effort du Castillan, rompre la trace de ses desseins, abbaiser son orgueil, & ruiner sa puissance : dedié aux roys, princes, potentats & republiques de l’Europe, particulierement au roy tres- chrestien / par vn pelerin Espagnol, battu du temps, & persecuté de la fortune ; traduicte du langue Castillane en langue Françoise, par I.D. Dralymont Seigneur de Yarleme, trad. Jean de Montlyard, sl, 1598 ; [10], 73, [6] pages[5]. 1 occurrence (p.54).
11.Giovanni Michele Bruto, The necessarie, fit, and conuenient education of a yong gentlewoman written both in French and Italian, and translated into English by W. P. And now printed with the three languages togither in one volume, for the better instruction of such as are desirous to studie those tongues, trad. W.P., Londres, Adam Islip, 1598. Traduction de : Institutione di una fanciulla nata nobilmente (1555). 160p. 1 occurrence (Iv°).

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Ces textes présentent des caractéristiques notables :

Ils se concentrent dans le dernier quart du siècle. La même base de données liste 89 ouvrages publiés en français entre 1500 et 1600. On peut donc en conclure que le vocable « siècle » devient populaire vers la fin du siècle. À titre de comparaison, la même recherche (« siècle ») dans la même base de données pour la période 1600-1700 donne 110 résultats répartis sur toute la période.

Pour trois d’entre eux (2, 4 et 10), le mot « siècle » se trouve dans des traductions, qu’il s’agisse d’importer la langue et la culture étrangère (directement dans le Garden of pleasure, traduit de l’italien, peut-être via le français, ou indirectement dans le Traité paraenétique, traduit de l’espagnol [castillan] en français) ou de diffuser la parole officielle à l’étranger (comme dans L’Exécution de la justice, dont le titre précise qu’elle a été d’abord écrite en anglais, puis « traduite en langue Franc̜oise, en faueur de autres nations & personnes, qui ont l’vsage d’icelle »). Dans le cas des méditations chrétiennes et de l’éducation des jeunes filles nobles (1 et 11), il s’agit de textes polyglottes contenant plusieurs variations sur le même thème (sans qu’il s’agisse véritablement de traductions) pour le premier et dans le second de la mise en parallèle sur trois colonnes du même traité présenté comme bilingue dès la composition, « written both in French and Italian ». Même le texte 3 s’inscrit dans une logique de traduction, entre latin et français, l’auteur indiquant qu’il a également composé une version latine de son œuvre dans son « Epistre tradvite en francois dv livre latin dedié aux estats, Princes, Seigneurs, Barons, Gentilshommes, & Peuple Polonois, par Eusebe Philadelphe, Cosmopolite » (aiiii r°) : « Le pouuoir & force indomptable de la trespure veritè, à laquelle plus ie m’arreste qu’à l’opinion d’vn tel Censeur, me seruira en cest endroit de plege & de bon garent, m’ayant contrainct de l’opposer aux-flatteurs, menteurs effrontez, en vn Latin aussi facile cōme est le langage Frāçois, auquel i’escris le mesme liure à la grande Royne d’Angleterre simple & sans affeterie ».

La langue de l’ouvrage est le français, à l’exception du Garden of pleasure, où on trouve l’occurrence dans le paratexte, la dédicace du traducteur au comte de Leicester (Robert Dudley), alors favori de la reine, des textes multilingues (1 et 11), où le français figure parmi d’autres langues, et de The Arte of English Poesie, qui est sans doute l’emploi le plus intéressant de ce petit corpus. Dans les textes 5 et 7, c’est également dans le paratexte que figurent les occurrences : dédicace à « Madame de Sidney[6] » (texte 5) et « Epistre au lecteur » (texte 7). Le contexte de la traduction et les adresses en français à des lecteurs anglais reflètent la dimension polyglotte de ces textes. Les textes 2 et 11 sont même explicitement présentés comme des manuels d’apprentissage des langues (« for the benefit of students in both tongs », précise le titre du texte 2, tandis que celui du texte 11 indique « for the better instruction of such as are desirous to studie those tongues »).

La majorité des ouvrages appartiennent au genre du texte politique ou historique à visée polémique et/ou didactique. Seuls deux (textes 2 et 5) échappent à cette orientation, l’un s’apparentant à un recueil de lieux communs (dans lequel la dimension historique des anecdotes narrées n’est toutefois pas totalement absente) et l’autre appartenant au domaine de l’histoire naturelle. Le caractère didactique est évident dans les recueils polyglottes se présentant comme des manuels de langue[7], ainsi que dans le traité sur la poésie anglaise. On remarque une concentration de publications dans les années qui suivent la défaite de « l’Invincible Armada » envoyée par Philippe II d’Espagne et naufragée au large des côtes britanniques en 1588 (textes 6, 7, 9[8]). Le texte 10 s’intègre dans la stratégie de lutte contre l’Espagne : publié en 1598, soit deux ans après la prise de Cadix par les Anglais et les Néerlandais et l’année même de la mort de Philippe II, il relaie clairement un appel à une union sacrée européenne pour contrecarrer les visées expansionnistes de l’Espagne. Le « réveille matin », qui date de 1574, fait écho aux conflits religieux, et en particulier au massacre de la Saint-Barthélemy, appelant à l’unité et à la concorde parmi les nations européennes.

En lien avec le contexte historique, on constate que l’orientation est majoritairement protestante : aussi bien le comte de Leicester que Mary Sidney (destinataires respectifs des dédicaces des textes 2 et 5) étaient associés à des cercles protestants, le texte 6 se dresse « contre ceulx de la Ligue » et l’auteur du texte 7 est un Anglais converti au catholicisme qui prône un « examen pacifique de la doctrine des Huguenots ».

L’identité des imprimeurs/éditeurs est également pertinente : les trois textes que l’on pourrait qualifier de « post-Armada » (6, 7, 9) sont imprimés par John Wolfe, célèbre pour ses pratiques à la limite du licite et pour son rôle dans la diffusion des textes étrangers en Angleterre (et de textes controversés comme ceux de Machiavel et de l’Arétin, en italien). Thomas Vautrollier (textes 4 et 5), réfugié français huguenot, s’est imposé comme l’un des éditeurs les plus importants à Londres à la fin du seizième siècle. Quant à Henry Bynneman (texte 2), il devait obtenir grâce aux bons offices du comte de Leicester en 1580 le privilège d’imprimer tous les dictionnaires, chroniques et livres d’histoire. John Day, célèbre pour avoir imprimé le « Book of Martyrs » de John Foxe (Acts and Monuments, 1563, ouvrage de martyrologie prostestante), il avait obtenu un privilège royal pour l’impression de textes religieux tels les traductions des Psaumes.

Quant aux auteurs, les textes intitulés « discours », ancrés dans l’actualité immédiate, sont anonymes (6 et 9) et l’identité de l’auteur du texte 10 n’est pas assurée. À l’inverse, Lord Burghley, auteur du texte 4, était lord grand trésorier, ministre en chef de la reine Élisabeth et détenteur de l’autorité gouvernementale.

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A/ La plupart des occurrences renvoient au même sens de siècle, qui désigne une période déterminée, unifiée, caractérisée par un régime politique et des traits de mœurs : « Division historique, chronologique d’une certaine longueur pouvant recouvrir approximativement un siècle déterminé et généralement marquée par des caractères qui lui donnent une unité, une cohésion » ou  « Époque marquée par des caractères qui lui sont propres et par rapport à laquelle quelqu’un se situe. Synon. temps », pour reprendre la définition du Trésor de la langue française[9]. Le locuteur utilise ce mot pour faire référence au temps présent, dans une optique de louange ou de critique, afin de le situer par rapport aux temps passés, eux aussi identifiés comme des unités temporelles cohérentes singulières. La durée demeure imprécise, et n’est pas nécessairement égale à cent ans, mais elle lui reste inférieure : le sentiment qui s’exprime est celui d’appartenir à une génération, à une communauté de contemporains. Le mot « siècle » est déterminé par un déictique de proximité, le démonstratif « ce » ou l’adjectif possessif « notre », ainsi que par des adjectifs comme « présent », qui peuvent s’opposer au « passé » révolu ou anticiper sur des temps « futurs » encore incertains. Les emplois de « siècle » reflètent la sensation que le temps présent a non seulement une unité, mais qu’il est comme posé en équilibre entre le passé et l’avenir, selon une perspective comparatiste mais pas nécessairement positiviste : si les anecdotes plus récentes sont préférées à celles de temps plus reculés pour édifier le lecteur, ce n’est pas toujours en vertu d’une amélioration, mais parce qu’elles sont plus fraîches dans la mémoire collective.

Ce premier sens correspond aux occurrences suivantes :

 Texte 4, p.42-43 (c’est moi qui souligne) :

« Il y a trop d’histoires anciennes touchant cela pour les reciter, & nulles plus frequētes ou de plus grand effect que des Rois de France. Mesme aux Registres d’Angleterre il appert combien les roys & la Noblesse d’Angleterre ont repoussé les vsurpations du Pape auec Edictz seueres, tellement que par vn terme propre de Praemunire ses procureurs ont esté espouuantez, & son Clergé tremblāt, comme de nagueres le Cardinal VVolsey en a faict preuue suffisante. Mais laissant les histoires anciennes, nous nous pouuons resouuenir en nostre present & dernier siecle, de ce que manifestement a esté veu, que l’armee du dernier noble Empereur Charles le quint, pere du Roy Philippe à present regnant, ne fut point estonnée de ces maledictions: quand en lAn de nostre Seigneur 1527. Rome mesme fut assiegée & saccagée, & le Pape lors appellé Clement auec ses Cardinaux en nombre d’enuirō trēte trois, prins prisonniers au mont Adrien, ou chasteau Sainct Ange … »

Ici l’unité chronologique est d’environ cent ans, si on part de la fondation de la dynastie Tudor en Angleterre (1485). Une comparaison avec les autres versions peut éclairer le sens du mot « siècle ».

Anglais (original, 1583) = « But leauing those that are auncient, we may remember howe in this our owne present or late age, it hath bene manifestly seene… ».
Italien (traduction, 1584) = « Ma lasciando le storie antiche per hora a parte, noi ci possiamo ottimamente raccordare, che, in questo nostro vltimo secolo, s’è veduto, l’armata dello’mperador Carlo V. padre di questo re Filippo… ».
Latin (traduction, 1584) = « Sed quid opus est vetustioribus, cum recente memoria, & hac aetate nostra constet, potentissimum Imperatorem Carolum quintum, Philippi Regis qui nunc viuit patrem… ».

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 Texte 5, dédicace à Mary Sidney (c’est moi qui souligne) :

« MADAME encor que les actions humaines soyent dissemblables, si est-ce qu’elles ont cecy de commun, de tendre toutes à quelque fin: mais ô heureuses & louables céles dont les Autheurs ne se soucians pas tant de leur profit particulier ont plus d’esgard au public comme il se peut voir non seulement aux tresillustres maisons, dont vous estes extraite & alliée: mais en vostre personne, qui par la memoire du passé, & esperance du futur, semble estre predestinée pour la subuertion de l’ignorance, & pour l’amplification de la louable vertu. Or comme en ce siecle (esgoust de la malice des autres) il à pleu à Dieu nous donner icy vn heureux repos, accompagné de la lumiere de sa Parole sa∣crée, soubz le tres-heureux regne de sa tres-fidele, & nostre Tressérénissime ELIZABET à bon droit par sa Prouidence Royne de ces Pays, aussinous à il concédé la réuolution des Arts suscitant plusieurs gentilz Espris, qui se sont donnez la main pour communiquer aux autres ce qu’il luy à pleu leur impartir, en quoy i’ay volontiers & selon mon petit pouuoir tasché de les suyure en si louable entreprise, dressant vn petit Liuret ayant choysi d’entre les Animaux, quelque nombre de Bestes & d’Oyseaux des plus remarquables… »

La famille Sidney, dont Mary est la représentante, est louée en vertu de son passé glorieux, mais aussi pour ses contributions à l’avenir. Le format de la dédicace favorise la congruence entre prospérité politique et l’épanouissement artistique, ainsi qu’il apparaît dans le choix des termes « très heureux règne » et « révolution des Arts ».

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 Texte 6, p.11-12 (c’est moi qui souligne) :

« Or encores que ie confesse rondement, que estans reduictz en termes de tomber en l’un des deux inconueniens, il ny á guerre estrangere, pour difficile & dangereuse qu’elle soit, qu’on ne doyue entreprendre, si par icelle on peult garentir la patrie, d’une guerre ciuile: si est ce que l’entiere prosperité d’un estat, est fondée sur l’exemption de ces deux inconueniens. Sinon que nouz estimons nostre siecle estre priuilegé de quelque speciale faueur, pour auoir la guerre sans les appenages d’icelle, assauoir, la misere et la pouureté. Ceulx dōc, qui veulēt procurer le bien & repos de nostre France, doiuent viser à ce but, que non seulement, toute cōbustion ciuile soit amortie: mais aussi, qu’elle se maintienne en bon mesnage auec ses voisins. Et sur tout, de ceulx dont l’alliance luy est, & plus commode & plus asseurée. »

 Texte 6, p.56 (c’est moi qui souligne) :

« Car quel esclaircissement des bonnes lettres peult on attendre d’une nation qui durant cest heureux siecle, à grand peyne a produict cinq ou six hommes doctes. »

Dans les deux extraits, le ton est ironique. La première occurrence feint de singulariser « notre siècle », le temps présent, pour l’opposer aux autres siècles, au passé, mais il n’en est rien : c’est une vérité universelle que la guerre entraîne nécessairement misère et pauvreté, raison pour laquelle il faut éviter la guerre, qu’elle soit civile ou qu’elle implique des pays voisins. La seconde oppose clairement l’Espagne au reste de l’Europe, et en particulier à la France : alors que les arts et les lettres fleurissent, l’Espagne n’a pas pris part à cette efflorescence, raison pour laquelle les projets de renforcer l’alliance française avec ce pays proposés par les Ligueurs pris à partie dans le titre doivent être rejetés. Ici le temps présent est valorisé, connoté positivement (grâce à l’adjectif « heureux ») pour renforcer la critique en excluant de cette communauté un pays en particulier.

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 Texte 7, « Epistre au lecteur » (c’est moi qui souligne) :

« Quant a moy bien que ie sois le moindre entre vn million que se sont embrouillez es disputes de nostre siecle, si est ce que i’ose entreprendre, de reduire les points du different a vne issue si courte, & prescrire tels moyens de les traicter, que la verité se descouurira mieux, en ceste seule conference, qu’en toutes autres disputes qui ont esté depuis que Martin Luther sest opposé au Pape. »

C’est un événement religieux, le conflit entre Luther et la papauté (publication en 1517 des 95 thèses, excommunication en 1521), qui fonde la période présente et en fait une unité temporelle caractérisée par des troubles dans l’Europe entière. Le traité se présente comme une synthèse des controverses des 70 dernières années.

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 Texte 7, p.29-30 (c’est moi qui souligne) :

« Seulement la difference gist en la maniere, en laquelle il est present, & en laquelle nous le mangeons. Lequel erreur ne peut estre au fondement de la foy, dautant que selon l’opinion de nos docteurs Catholiques, il a esté libre a vn chacun pour mille ans aprez la mort de Christ, de croire la dite presence en telle maniere qu’ils ont voulu, moyennant qu’ils la creussent: dont il est manifeste que ce n’est que le malheur des Huguenots d’estre en ce siecle de l’Eglise tant rigoureux; car autrement ils n’eussent pas esté haeretiques. Car plusieurs des anciens peres ont esté infectés du mesme erreur. »

Sur le problème de la transsubstantiation, l’auteur procède à une mise en perspective historique qui embrasse toute l’histoire du Christianisme : pendant une durée très longue, mille ans, la doctrine sur ce point n’a pas été fixée, et c’est parce que l’Église a adopté une position ferme sur la question que les Protestants sont aujourd’hui considérés comme hérétiques. Les siècles passés et les figures d’autorité (les « anciens pères ») sont mobilisés selon un point de vue relativiste afin de minimiser la transgression huguenote.

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 Texte 7, p.39-40 (c’est moi qui souligne) :

« Le premier exemple, est le signe de la croix, touchant lequel les Huguenots confesseront, qu’il a esté en vsage anciennemēt mais que l’vsage en a esté introduit en l’Eglise pour vne occasion particuliere & propre seulement a ce siecle la. Car les Payens parmi lesquels les Chrestiens conuersoyent en ce temps la, auoyent accoustumé quand ils rencontroyent quelques Chrestiens, de faire le signe de la Croix par opprobre, d’autant que le Dieu quils adoroyent, auoit esté pendu en vne croix. »

Ici « siècle » ne renvoie pas au temps présent, mais à une période du passé clairement identifiée, qui est opposée justement au temps présent : l’auteur signale un moment dans le passé qui peut être considéré comme un seuil, un point de bascule, afin de relativiser les prétentions à l’universalité des uns et des autres.

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 Texte 9, p.11 (c’est moi qui souligne) :

« … car leur vertu & loyauté a esté combatuë de toutes les tentations et charmes qui peuuent seduire les plus resoluz, dont neantmoins la victoire leur est demeuree auec vne grandissime recommādation de leur merite: d’autant plus que le vice du siecle ne le cōporte pas; & que c’est maintenant, comme chose extraordinaire, de garder la foy à son Prince. »

 Texte 9, p.19 (c’est moi qui souligne) :

« Cependant lesdits ennemis auoient reprins les lieux de Gournay, de Neuf Chastel & ladicte ville d’Eu, & cheminoient auec asseurance d’en faire le semblable dudit Arques, & d’en desloger le Roy & son armëe: mais en approchans de plus pres, avant par eux esté recogneu ce qui auoit esté faict (comme ils ne manquent pas d’aduis & en sont fort bien seruis, par ce que le naturel du siecle incline plus à l’infidelité qu’autrement,) combien que ce fust leur droit chemin pour s’approcher de l’armee de sa Majesté, de venir sur ledit costau trouuer ledit camp fortifié… »

La volonté moralisatrice est évidente ici : la période présente se caractérise par le manque de loyauté et plus généralement la perte de valeurs morales. Ni adjectif démonstratif ni possessif pour déterminer le mot « siècle », l’article défini suffit, renforçant l’effet de formule de l’expression (« le vice du siècle », « le naturel du siècle »).

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 Texte 10, p.54 (c’est moi qui souligne) :

« Voicy ce qu’en dit Gaguin: Tellement que si l’on veut parangonner la depense auec les moyens de Brunehault, certes on s’esmerueillera que ceste femme ait peu bastir en vn siecle tant de temples, & leur assigner à tous de bonnes rentes. Brunehault merite autre louange pour auoir vse de si grande liberalité enuers l’Eglise, que ne fait Philippe: d’autant qu’elle donnoit du sien, & Philippe donne de l’autruy. »

Ici le siècle est défini comme le règne de Brunehaut, durée déterminée bien inférieure à cent ans et dont l’auteur, relayant les commentaires de l’historien Robert Gaguin, souligne la brièveté. Née en 547, morte en 613, la Brunehaut a régné une trentaine d’années – durée certes longue au regard de l’espérance de vie moyenne de l’époque, mais très courte par rapport à l’ampleur des travaux réalisés. Cet emploi diffère des autres en ce qu’il se place à distance du « siècle » et donne l’impression qu’il s’agit d’une unité de mesure temporelle (« un siècle »), mais il est bien question d’une période dont les bornes dépendent d’une expérience cohérente vécue collectivement, ici un règne particulièrement favorable à l’Église, dans le cadre d’une comparaison entre un souverain du passé et un souverain du présent (pour Gaguin, dont les propos sont rapportés ici). La traduction anglaise donne « in one age » pour « en un siècle » (p.122, voir note 5 pour la référence de l’ouvrage). La traduction italienne ne mentionne pas de durée (p.93, voir note 5 pour la référence de l’ouvrage).

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 Texte 8, p.85 (c’est moi qui souligne) :

« and yet those trifles are come from many former siecles vnto our times, vncontrolled or condemned or supprest by any Pope or Patriarch or other seuere censor of the ciuill maners of men, but haue bene in all ages permitted as the conuenient solaces and recreations of mans wit. »

Ce que Puttenham qualifie de « babioles », trifles, ce sont les poèmes anagrammatiques. Il fait remarquer qu’ils ont échappé à la censure des périodes précédentes, ce qui justifie la tolérance du temps présent à leur égard.

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B/ Un autre sens est présent dans les textes 9, 11, 3 et 1, qui semble davantage quantitatif, même si la durée du temps ainsi mesuré n’est pas précisée.

 Texte 9, p.74 (c’est moi qui souligne) :

« C’est ce que nous auons à supplier de leur donner moyen de pouuoir considerer et cognoistre: mais sur tout qu’il veille preseruer sa Maiesté des aguets, et mauuais desseins qui se font sur sa personne, et qu’il luy veille prolonger ses iours de quelque bon siecle: car au besoing que nous auons de sa presence, le cours des plus longūes vies ordinaires ne sçauroit estre que trop court. »

La volonté laudative gouverne le recours à l’hyperbole : on peut donc envisager ici que l’auteur souhaite à Henri IV une vie plus longue de cent ans que les « plus longues vies ordinaires » afin que continue la prospérité de son règne.

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 Texte 11, Iv° (c’est moi qui souligne) :

« Plato estimoit sagement estre chose de grand consequence aus coustu∣mes des hommes en la cité, de quelle maniere de musique vsassent les citoyens. Dequoy en a rendu la cité des Lacedemoniens, ample tesmoignage, laquelle (mesprisant du tout la musique, qui affoiblissoit & faisoit les esprits langoreus & aimant celle, qui, rendāt vn son viril & magnifique, rendoit les hommes courageus, ardans & desieurs de gloire & d’immortalité) s’est defendue par plusieurs aages & siecles, sans corruption. »

« Ages et siècles » sont synonymes, et renvoient tous deux à une durée indéterminée dont ce qui importe est sa longueur, Sparte ayant été une puissance majeure pendant une très longue période. La version originale italienne est très proche (« per molte età & per molti secoli incorrota »), et la version anglaise se contente d’une notation vague bien en-deçà de l’hyperbole redondante des deux langues romanes (« for a long time »).

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 Texte 3, p.93 (c’est moi qui souligne) :

« Et nous alors ton vray peuple & tes hommes,

Et qui troupeau de ta pasture sommes,

Te chanterons par siecles inombrables,

De fils en fils preschans tes faits louables. »

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 Texte 3, p.157 (c’est moi qui souligne) :

« … sous la garde de ce grād Dieu des armees, du Roy des siecles, immortel, inuisible, seul Dieu sage & puissant, auquel soit tout honneur & gloire à iamais. »

Les occurrences du texte 3 présentent une orientation religieuse que n’ont pas les précédentes, tout en conservant leur sens quantitatif de mesure du temps, ou plus exactement de mesure de l’éternité, « les siècles » étant envisagés dans leur totalité comme l’histoire entière du monde créé par Dieu.

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 Texte 1 :

« … és siecles des siecles … »

Cette formulation revient à 5 reprises, dans le contexte de prières où elle traduit la formule latine in saecula saeculorum, qui apparaît à de nombreuses reprises dans le Nouveau Testament : dans la Vulgate, cette locution traduit le grec « eis toùs aionas ton aiṓnōn ».

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C/ Enfin, le texte 2 contient un emploi du terme « siècle » clairement infléchi dans un sens religieux : « ce siècle » désigne la vie terrestre présente, par opposition à la vie céleste future après la mort[10].

 Texte 2, dédicace au comte de Leicester (c’est moi qui souligne) :

« Qu’en tout ce siecle bas ta haute renommee,

Auecques dignité soit de toutz celebree,

Que la mort viene tard pour te clorre les yeulx,

Quapres la mort tu sois au grand palais des cieulx. »

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La double opposition, entre « siècle bas » et « haute renommée » (sous forme de chiasme) et entre « ce siècle » et « après la mort », permet à l’auteur de flatter doublement le dédicataire, dont les vertus célébrées en ce monde seront également reconnues dans l’autre. Des distiques de louange sont rédigés en grec (« dorice ») et en latin, et des quatrains en italien, français et anglais. Seul le quatrain en français comprend le mot « siècle ».

Latin : « Inclyta virtutis volitet tua fama per orbem, / Et serò moriens sis super astra, precor. »
Italien : « Prego che la vostra chiara fama / Di virtù, per tutto’l mondo voli, / E che dopò lunga vita, l’alma / Del vostr’ alta person, al cielo voli. »
Anglais : « I pray that your renoumed fame / of vertue may be blowne / Eache where, and lyuing long, you may / aboue the starres be knowne. »

« Per orbem », « per tutto il mondo », « each where » : seule l’acception spatiale figure dans les autres langues, là où le français redouble : « tout ce siècle » et « de tous ».

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En conclusion, l’usage du terme « siècle » dans les textes étudiés n’est jamais neutre : vecteur d’un sentiment d’appartenance à une communauté ou d’un rejet des travers moraux d’un groupe auquel on appartient temporellement sans s’identifier à lui, il a des affinités particulières avec la polémique et avec la louange. Il permet de mettre en perspective les événements historiques afin de construire l’identité du présent par rapport au passé, sans nécessairement rompre avec celui-ci, mais sans non plus subordonner le présent à l’autorité des anciens.

Ces conclusions sont bien entendu partielles et demandent à être confirmées par l’étude d’autres textes : étant donné la période de publication, les ouvrages dans lesquels figure le mot « siècle » en français ont souvent une dimension polémique, les Anglais s’intéressant au point de vue français sur les conflits politiques et religieux de leur temps, qui les concernaient au plus haut point (notamment à cause de leur rivalité avec l’Espagne et des enjeux relatifs à l’alliance possible avec Henri IV avant sa conversion au Catholicisme). Le choix de textes publiés à l’étranger donne une idée de ce qui intéressait les autres pays dans la production francophone, en fonction des événements politiques mais aussi du lectorat visé : à l’exception du texte de Burghley (dont l’original est en anglais) et du traité de Puttenham, pour lire ces ouvrages il faut maîtriser un tant soit peu le français (à vrai dire, pour lire Puttenham, il faut maîtriser plusieurs langues outre l’anglais, tant cet art poétique contient de citations et d’expressions en latin, grec, français, italien, qui en font presque un manuel d’apprentissage des langues au même titre que les textes 2 et 11). C’est sans doute faute de temps, pour coller à l’actualité en quelque sorte, que les textes n’ont pas été traduits en anglais. Ils nous donnent un point de vue à la fois intérieur et extérieur sur la langue et la littérature française de la fin du seizième siècle.

La nature polyglotte de ces textes, qui sont parfois des traductions et peuvent même faire partie d’un corpus de traductions en plusieurs langues du même original, fait ressortir une caractéristique de l’usage du terme « siècle » : celui-ci est bien plus systématique en français qu’il ne l’est en anglais (voir les remarques sur la traduction de l’Apologie pour Hérodote). Dans la traduction latine du texte 4, c’est plutôt « aetas » qui est choisi (et non saeculum, qui semble plutôt réservé à son acception religieuse) pour restituer l’anglais « age » ; en revanche, on trouve dans le même texte le terme « secolo » en italien (traduction de l’anglais « age »).

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Coda lexicographique

Le cas de Puttenham, qui emploie le mot « siècle » au sein d’une phrase en anglais comme synonyme de « time » et « age », également utilisés dans la même phrase, mérite que l’on s’y attarde. S’agit-il d’un cas d’alternance codique (code-switching[11]), ou bien « siècle » était-il considéré comme un mot anglais au seizième siècle ? La consultation de l’Oxford English Dictionary à l’entrée « siècle » est donc la dernière étape, et non pas la première, de ce parcours. Il existe bien une entrée « siècle » dans l’OED, distincte d’autres emplois du mot français comme « fin de siècle », et cette entrée indique que ce mot est « obsolète »[12]. Les trois sens du terme y sont répertoriés : le monde d’ici-bas dans son sens religieux ; une période de temps ; cent ans (pour ce dernier, la seule citation est un manuel bilingue français-anglais où « siècle » est clairement présenté comme un mot français, expliqué en anglais par « an hundred yere[13] »). Les exemples cités par l’OED pour le premier sens proviennent de règles monastiques (règle de saint Benoît) et de vies de saints (vie de saint Cuthbert) datant du quinzième siècle, donc du moyen anglais, et leur orthographe semble phonétique, ce qui indiquerait une transmission orale du terme et une importation de l’ancien français : « sekil » et « sekyll ». Le mot pourrait donc être un emprunt technique dans son sens religieux, mais il n’est plus attesté après le quinzième siècle selon l’OED. Pour le sens 2, l’exemple le plus ancien est la traduction par William Caxton en 1483 de La Légende dorée de Jacques de Voragine ; dans « by all the syecle and syecles » à la fin de la Vie de saint Yves, on reconnaît « in saecula saeculorum ». Le second exemple est tiré d’un texte écossais, si bien que l’on pourrait arguer de la proximité politique entre les deux nations pour expliquer la présence d’un mot français assimilé (l’ouvrage de propagande anti-anglaise, The Complaynt of Scotland, publié en 1550 à Paris en langue scots, est dédié à Marie de Guise) : « The verteouse verkis dune be ȝour antecessours in oure dais ar euident til vs in this present seicle » (p.4) [the vertuous works done by your ancestors in our days are evident to us in this present siecle]. Et le troisième est tiré de The Arte of English Poesie.

Le point commun de ces exemples est que le mot « siècle » n’est pas mis en relief comme un mot étranger dans son contexte anglais : pas de traduction, pas de modalisation, pas de rupture syntaxique. Pourtant, dans chacun des exemples figurant dans l’entrée « siècle », ou plus exactement « † siecle, n. », de l’OED, le contexte invite à se demander si on peut considérer « siècle » comme un mot anglais à part entière. Même chez Puttenham, l’importance des modèles continentaux, et en particulier français, dans l’élaboration d’un art poétique anglais incite à s’interroger sur le degré d’assimilation de ce mot. L’anglais possède des termes pour renvoyer aux différents sens du français « siècle », on l’a vu justement chez Puttenham (voir également des exemples dans mon billet sur les traductions de « siècle » et « siglo ») ; mais il n’en a pas un seul, unique, polysémique, dérivé du latin. Le multilinguisme médiéval pratique consécutif à la conquête normande a fait place à une polyglossie parfois conflictuelle dans laquelle la littérature française tient lieu de modèle à une littérature anglaise qui n’est pas encore en mesure de rivaliser avec elle.

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  1. Henri Estienne, A world of vvonders: or An introduction to a treatise touching the conformitie of ancient and moderne wonders or a preparatiue treatise to the Apologie for Herodotus, trad. R[ichard] C[arew], Londres, Richard Field pour John Norton, 1607.

  2. Voir la définition dans l’Oxford English Dictionary : « III. Senses relating to the number 100 in other contexts.

    6. A group or collection of a hundred things; a hundred. Cf. centum n.1 Now somewhat archaic. Formerly often used in the titles of collections of poems, songs, etc. »

  3. https://quod.lib.umich.edu/e/eebogroup/.

  4. Gabriel Harvey possédait un exemplaire de l’édition de 1571 (Venise) de Detti et Fatti, qu’il a largement annoté. Cet exemplaire est consultable grâce au site Archeology of Reading : https://archaeologyofreading.org/viewer/#aor/FolgersHa2/73r/image (relié avec les Facetie de Lodovico Domenichi). Sur les éditions de cet ouvrage, voir : Anne-Marie Van Passen, « Lodovico Guicciardini, L’ore di Ricreatione. Bibliografia delle edizioni », La Bibliofilía, Vol. 92, No. 2 (maggio-agosto 1990), 145-214.

  5. La première édition date de 1597 ; la deuxième édition a été augmentée. L’ouvrage a aussi été traduit en néerlandais : Tractaet paræneticq. dat is te segghen : onderwysinghe ofte vermaninghe. Int welcke wert ghethoont […] den rechten wech ende waren middel om te wederstaen het ghewelt der Castilianen […] Door een Spaensch Pelgrim, gheslagen vanden tijt, ende vervolcht door Fortuyne, trad. Nicolaes Biestkens, C. P. Boeye, Amsterdam, N. Biestkens, 1598 ; en anglais, à partir du français : A Treatise paraenetical, that is to say : an exhortation. Wherein is shewed by good and evident reasons… the right way & true meanes to resist the violence of the Castilian king… by a Pilgrim Spaniard, beaten by time, and persecuted by fortune. Translated out of the Castilian tongue into the French, by I. D. Dralymont,… And now englished, Londres, [R. Field] pour William Ponsonby, 1598 ; en italien, à partir du français : Trattato paranetico overo essortatorio da un Peregrino spagnuolo nella favella castigliana e trasportato nella francese dal signor di Drailimont e hora nell’italiana, trad. Carlo Felice Fiotadonilia, s.l., 1616.

  6. Mary Sidney, comtesse de Pembroke, sœur du célèbre poète et courtisan Philip Sidney.

  7. Sur la question de l’apprentissage des langues étrangères en Angleterre, voir en particulier : Jason Lawrence, “Who the Devil Taught Thee So Much Italian?” Italian Language Learning and Literary Imitation in Early Modern England, Manchester, Manchester University Press, 2005 ; John Gallagher, Learning Languages in Early Modern England, Oxford, Oxford University Press, 2019 ; et les travaux d’Andrew Keener (ouvrage intitulé Theaters of Translation: Cosmopolitan Vernaculars in Shakespeare’s England en préparation).

  8. L’auteur de la préface du texte 6 explique que ce discours lui est « tombé entre les mains » trois ans auparavant (p.3).

  9. Définition du CNRTL : https://www.cnrtl.fr/definition/siècle (I.2.a et d).

  10. Voir la définition du Trésor de la langue française, s.v. siècle II.B : « RELIGION [Avec art. déf.] 1. [Le subst. est déterminé par un adj.] a) Le siècle présent. La vie d’ici-bas. Oublier la corruption et les ténèbres du siècle présent (Bremond, Hist. sent. relig., t. 4, 1920, p. 254). / b) Le siècle futur. La vie d’En-Haut, la vie éternelle après la fin du monde. Il en sera ainsi jusqu’à ce que son règne [du Christ] arrive, avec le siècle futur (Maritain, Primauté spirit., 1927, p. 187). » (https://www.cnrtl.fr/definition/siècle)

  11. Voir Penelope Gardner-Chloros, Code-switching, Cambridge, Cambridge University Press, 2009.

  12. Oxford English Dictionary, s.v. « † siecle, n. ». Sur le référencement des mots étrangers dans l’OED, on pourra se reporter à : Giles Goodland, « The OED and ‘single-use’ words » (2010), exposé non publié, disponible en ligne: https://ora.ox.ac.uk/objects/uuid:99d462ea-be60-4b60-b7a2-6259a862c500; Giles Goodland, « Reading Early Modern literature through OED3. The loan word », in Multilingualism in the Drama of Shakespeare and his Contemporaries, dir. Dirk Delabastita et Ton Hoenselaars (Amsterdam, John Benjamins, 2015), 17-40.

  13. Giles du Wes, An introductorie for to lerne to rede, to pronounce, and to speake Frenche trewly, Londres, Thomas Godfray, 1533, Ffii.

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