Les mots de la re-naissance autour de la question de la langue «vulgaire»

Mots et usages d'une catégorie historiographique

Les mots de la re-naissance autour de la question de la langue «vulgaire»

Même si le terme de rinascità, dû à Vasari apparaît en 1550 dans ses Vies des plus excellents peintres, on rencontre peu d’occurrences du mot dans le français de l’époque avec le sens culturel que nous lui donnons de « retour à l’Antiquité ». Son sens est avant tout théologique, et désigne la régénération spirituelle. Renaître, c’est avant tout sortir du péché et retrouver l’état de grâce par le baptême, le sens strict de « naître une seconde fois » (induit par le préfixe re-) renvoyant avant tout à la croyance religieuse en la résurrection.

Les humanistes emploient plutôt une série d’autres termes pour qualifier ce mouvement de renouveau. On songe bien évidemment aux termes restaurer / restauration, ou encore restituer / restitution employés par Rabelais dans la célèbre lettre de Gargantua à Pantagruel[1]. Mais ces derniers recourent également à une série de métaphores récurrentes pour désigner ce retour à l’antique après une longue éclipse[2]. Ces métaphores antonymes opposent ainsi les ténèbres (gothiques, barbares) à la lumière[3], le sommeil au réveil, ou encore le verbe faner à celui de refleurir, pour désigner ce mouvement qui voit le renaître succéder au mourir / périr. Autant de couples d’oppositions métaphoriques (fondées sur une opposition entre un avant et un après, entre obscurité et lumière rendue) qui masquent de réelles continuités entre les périodes médiévale et renaissante, mais témoignent bien du sentiment de vivre une métamorphose radicale, d’être artisans d’une rénovation fondée sur la restauration (résurrection) de l’antique, d’appartenir à une époque favorable au retour des arts et des lettres. Mener un étude lexicale sur la notion de renaissance suppose donc de ne pas s’arrêter au verbe renaître, mais d’enquêter également sur ses synonymes, et plus généralement sur « l’imaginaire » de la renaissance attaché au mot et à la notion (à travers l’étude des associations lexicales récurrentes, mais aussi des désignations métaphoriques et de leurs connotations).

Dans le cadre restreint de cette enquête lexicale, notre terrain d’exploration sera principalement celui des textes liminaires et préfaciels liés à la question de la langue vulgaire et de l’illustration du français, mais aussi celui de quelques arts poétiques[4] et autres textes théoriques qui mentionnent volontiers (fréquemment via l’éloge de François Ier) ce mouvement de renouveau qui a rendu possible la restauration des lettres antiques, mais aussi la (nouvelle) naissance de la langue et de la poésie en langue vulgaire.

Si l’exploration du lexique de la re-naissance met généralement en exergue, à juste titre, la valeur du préfixe re– indiquant le retour à un état antérieur (aux sources, à l’antiquité, à un état initial assimilé à un âge de perfection, à un âge d’or perdu)[5], il convient également de prendre en considération la base du mot dont il est dérivé, le substantif naissance, ainsi que tous les termes qui lui sont associés, et de parcourir plus largement toute l’isotopie correspondant aux sèmes du début (commencements, éveil, balbutiements). En effet, le mouvement de renaissance s’entend également (notamment dans les traités consacrés à l’émergence de la langue vulgaire) au sens de « premiers temps d’un progrès à venir, d’une perfection future », premiers pas encore hésitants d’une époque n’ayant pas atteint sa pleine maturité.

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1- Re-naître par le retour aux origines

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Les termes relatifs au mouvement de re-nouveau sont tout d’abord étroitement indexés au mouvement de translatio studii, facteur propice à ce mouvement de réveil, qui transplante la « racine » de la perfection antique sur un terrain neuf et encore en jachère, celui du sol français, comme le rappelle Vauquelin de la Fresnaye dans son Art poëtique françois, par le biais de la métaphore de la navigation et du transfert d’ « ancrage » :

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« De l’Apolon surtout qui, divin et sacré

Desancrant de Delos en France s’est ancré »[6].

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De fait, les nombreux termes, et notamment les verbes (souvent préfixés en re-) permettant de désigner cette dynamique de renouveau (renaître, restaurer, ressusciter, redresser, refleurir, ressourdre) sont souvent sous-tendus par des associations métaphoriques signifiantes, reposant toutes sur l’idée qu’il s’agit de faire revivre par une seconde naissance une pureté perdue ou « éteinte ».

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On trouve ainsi à l’époque des occurrences du verbe renaître au sens culturel de « renaissance des lettres antiques » : en témoigne par exemple la Deffence et Illustration de la Langue françoyse, où Du Bellay emploie le verbe renaître au sens de « résurrection littéraire » portée par un auteur français. Faisant le constat du mépris de nos « majeurs » pour leur langue domestique, Du Bellay fait une exception au sujet de Rabelais :

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« toutefois […] tous les savants hommes de France n’ont point meprisé leur vulgaire. Celui qui fait renaistre Aristophane <Rabelais> et faint si bien le nez de Lucien, en porte bon tesmoignage »[7].

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Peletier du Mans, dans la préface à sa traduction de l’Art poétique d’Horace (1545) se félicite lui aussi de voir renaître (grâce à François Ier) la langue française, domestique, négligée par nos Majeurs :

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« Et maintenant elle <la langue française> prend un tresbeau et riche accroissement souz nostre treschretien Roi François, lequel par sa liberalité roialle en faveur des Muses s’efforce de faire renaistre celui siecle tresheureux, auquel souz Auguste et Mecenas à Romme, florissoint Virgile, Horace, Ovide, Tibulle et autres Poetes Latins »[8].

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Renaître suppose donc faire revenir à la vie ce qui était enfoui, ce qui avait péri. Le verbe ressusciter vient donc aussi fréquemment qualifier ce retour paradoxal et miraculeux à la vie, comme en témoigne la préface des Odes de Ronsard :

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« Telles inventions encores te ferai-je voir dans mes autres livres, où tu pourras […] contempler de plus près les saintes conceptions de Pindare […]. Et ferai je encores revenir (si je puis) l’usage de la lire, aujourd’hui ressuscitée en Italie »[9].

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Les verbes renaître, ressusciter, sont également porteurs du sème de la nouveauté, mais d’une nouveauté surgissant paradoxalement du passé antique, comme en témoigne l’emploi fréquent du verbe renouveler, au sens de « rendre neuf l’ancien ». Dans la seconde préface de l’Olive (1550), Du Bellay déclare ainsi : « voulant donc enrichir notre vulgaire d’une nouvelle ou plustost ancienne renouvelée poësie, je m’adonnay à l’imitation des anciens Latins et des poëtes Italiens »[10], par une expression emblématique où se lit tout le paradoxe d’une jonction inédite entre l’ancien et le nouveau, abolissant la conception d’un temps linéaire. Jacques Peletier du Mans dans son Art poétique renvoie lui aussi à cette nouveauté paradoxale conçue comme réveil de l’ancien, lorsqu’il affirme que « l’office d’un Poète, est de donner nouveauté aux choses vieilles, autorité aux nouvelles, beauté aux rudes, lumière aux obscures, foi aux douteuses »[11]. C’est encore Marot, dans son épître à François Ier précédant sa traduction du premier livre de la Métamorphose d’Ovide (1533), qui explique que :

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« < les textes latins> ont mené ma main et amusé ma Muse. Que dy je, amusée ? Mais incitée à renouveller (pour vous en faire l’offre) l’une des plus Latines antiquités, et des plus antiques Latinités ».

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En dehors de ces verbes, les auteurs du XVIe siècle recourent volontiers à d’autres synonymes, métaphoriques ou non, porteurs du sens de retour aux origines, mais aussi du réveil. Il en va ainsi du verbe restituer (déjà vu chez Rabelais), fréquemment associé à l’éloge de François Ier :

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« mais à qui apres Dieu rendrons-nous graces d’un tel benefice, si non à nostre feu bon Roy, et Pere François premier de ce nom, et de toutes vertuz ? Je dy premier, d’autant qu’il a en son noble Royaume premierement restitué tous les bons Arts, et Sciences en leur ancienne dignité : et si a nostre Langaige au paravent scabreux, et mal poly, rendu elegant, et si non tant copieux, qu’il pourra bien estre pour le moins fidele Interprete de tous les autres »[12].

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Mais ce sont également des verbes comme re-tourner, re-mettre ou rendre (au sens de « rendre à sa forme d’origine », « rendre à sa clarté première ») qui traduisent ce mouvement novateur conçu comme ressaisie des origines. Hugues Salel, dans l’épître dédicatoire à sa traduction de L’Iliade (1545) adressée à François Ier (« Voyant par toi les arts croistre et flourir / Qui ont cuydé auparavant perir »[13]), se félicite ainsi que :

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« […] plusieurs artz, qui n’estoient en lumiere,

Sont jà renduz en leur clarté premiere ;

Et le sçavoir, aultrefois tant couvert,

Est maintenant à chascun descouvert »[14]

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L’idée de « remettre en la clarté première » se trouve également sous la plume de Jean Maugin dans la préface à sa traduction du Palmerin d’Olive (1546), épître dédicatoire adressée aux « aux nobles, vertueux et illustres françoys » :

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« si quelqu’un des monarques et dominateurs qui ont par cy devant regné en Gaule a monstré un bon zele et affection à son peuple, touchant les artz et sçavoir, certainement nostre Roy très chrestien à présent regnant a excellé et triumphé sur tous. Qu’ainsi soit, voyant à l’avenement de sa monarchie les letres estre presque estaintes et peries en la France, a mandé ses sujets, qui Latins et Graecz, pour mettre en lumiere l’Hebreu, Graec et elegant Latin, qui jà cinq ou six siecles avoient demouré en tenebres. Non content de ce, a remis en leur pristine forme les artz liberaux et mathematiques, si bien que ses lecteurs publiques le rendront immortel et feront fleurir à jamais […] »[15].

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Si Jean Maugin reprend ici l’opposition topique entre ténèbres et lumières, cette métaphore se trouve ici associée à l’adjectif pristine (primitif, d’autrefois, ancien) qui mérite d’être souligné, adjectif que l’on retrouve par exemple dans Le Balladin de Marot pour désigner le retour à la forme originelle, primitive de l’Eglise (Christine) :

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« Si luy ay dict : o piteuse Christine,

Retournez vous en la façon pristine ? »[16]

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Restituer les textes des Anciens « en leur forme pristine » est d’ailleurs une expression que l’on retrouve sous la plume de Jean Lemaire de Belges dans le prologue du livre I des Illustrations de Gaule et Singularitez de Troye[17] adressé à Marguerite d’Autriche :

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« Or donques Princesse tresrenommee, apres la ressource de vostre maison Troyenne, tu auras oultre plus, ceste gloire palladienne et louenge Mercuriale[18] que davoir esté cause de redresser l’histoire et icelle restituer en sa dignité pristine »[19].

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La volonté de faire revivre « en sa dignité pristine » et de réécrire la geste troyenne est présentée par Jean Lemaire de Belges comme la recherche d’une re-source :

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« A fin donques de redresser, et ressourdre ladite tresnoble histoire, qui presques estoit tombee en decadence, et depravation ruïneuse, comme si elle fust destime frivole, et pleine de fabulosité par la coulpe dessudits mauvais escrivains, qui ne lont sceu developper, laquelle certes est veritable et fertile […]. Et veu que à moy (plus que à nul autre) des esprits celestes appartenoit de procurer la restauration dicelle histoire […] ».

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Outre la succession chronologique décadence, dépravation, ruine/restauration propre à tout discours sur la dynamique de la Renaissance, Jean Lemaire de Belges recourt ici à un binôme synonymique intéressant : redresser et ressourdre. Le verbe ressourdre (fréquent du XIVe au XVIe siècle, mais disparu du lexique dès le XVIIe siècle[20]) signifie en effet « sourdre de nouveau, rejaillir, resurgir, se manifester de nouveau, ressusciter, se relever, se rétablir, reparaître, ressusciter ». Re-sourdre, c’est donc faire jaillir à nouveau la source antique qui avait été étouffée, enterrée, tarie. La re-naissance désigne donc également, dans un sens très concret et matériel, une « re-source », une eau originelle enfin libérée et rendue à sa fertilité première[21].

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2- Naissance, commencement, éveil

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Les termes comme restaurer, ressusciter, renouveler, ressourdre, s’accompagnent d’une conscience aigüe du changement et de la nouveauté, les hommes de l’époque se considérant à l’aube d’un monde nouveau. Les textes consacrés à la question de la langue française présentent ainsi souvent cette période de renouveau comme celle d’une naissance.

Cette naissance est souvent présentée comme prometteuse, car résultant d’une heureuse conjonction des astres, propice au retour des Muses, des arts et des lettres. Dans son « Discours comme une langue vulgaire se peut perpétuer » (1548), Jacques Beaune, déplorant que la langue vulgaire ait été jusque-là méprisée par nos pères (plus soucieux du maniement des armes que de celui des livres) se félicite ainsi de ce changement :

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« Mais, puisque le cours des astres a changé en cet endroit notre destinée et telle ancienne fantaisie en plus saine opinion, si que, depuis trente ou quarante ans, on n’a trouvé mauvais entre les nôtres de manier livres et armes ensemble, et les faits mémorables réduire par écrit, nous avons commencé à voir combien peut notre langue en ce qu’elle voudra le sujet de sa volonté bien dire et exprimer »[22].

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A l’instar de Du Bellay :

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« donques s’il est ainsi, que de nostre tens les Astres, comme d’un accord, ont par une heureuse influence conspiré en l’honneur, et accroissement de notre Langue […] »[23]

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Parallèlement à ce motif d’une naissance favorisée par les astres, on observe souvent une anthropomorphisation métaphorique de l’idiome vulgaire, présenté comme balbutiant, encore en enfance, en raison de la négligence de nos « majeurs ». Dans la dédicace de sa Rhétorique française (1555), « à l’illustre princesse Madame Marie, reine d’Ecosse », Antoine Fouquelin déclare ainsi :

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« il plaira à votre grandeur excuser la pauvreté de notre langue, qui n’étant encore qu’à grand peine sortie hors d’enfance, est si mal garnie de tout ce qu’il lui faut, qu’elle est contrainte d’emprunter les vêtements et (s’il faut ainsi parler) les plumes d’autrui pour se farder et accoutrer »[24]

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L’image de la corneille d’Horace (reprise textuelle d’une expression de la Deffence et Illustration de la langue françoyse[25]), nourrit ici la représentation métaphorique d’une langue composite, dépareillée, car encore trop jeune pour se vêtir de ressources propres. L’idiome « vulgaire » nouveau-né est encore incapable de se vêtir seul, sans emprunter à d’autres langues « adultes ». En évoquant le début du XVIe siècle, Pierre de Deimier dira encore que la langue française « demeuroit tousjours au maillot, et […] ne faisoit que begayer au prix de la vive eloquence des Autheurs de Rome, et de Grece »[26].

Dans la même lignée métaphorique, la renaissance peut également apparaître comme le terme de la gestation d’une mère restée trop longtemps stérile :

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« Je supplie à Phebus Apollon, que la France, apres avoir eté si longuement sterile, grosse de luy enfante bien tost un Poëte, dont le Luc bien resonnant face taire ces enrouées Cornemuses »[27].

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La dynamique de la naissance sous-tend également les nombreuses métaphores végétales de la floraison. La Renaissance est cette période où les lettres anciennes re-fleurissent, mais où le français comme langue littéraire commence tout juste à fleurir. Il ne faut donc pas perdre de vue la valeur inchoative qui sous-tend le terme re-naissance, qui désigne également l’entrée dans un processus, le début d’une mutation à venir :

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« .. nostre langue, qui commence encores <à cette heure> à fleurir, sans fructifier : ou plustots comme une plante et vergette, n’a point encores fleury, tant se fault qu’elle ait apporté tout le fruict qu’elle pourroit bien produire » (à cause de nos majeurs, qui l’ont négligée) »[28].

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Cette conception de la re-naissance comme prémice d’une perfection future (ou bourgeon d’un fruit à venir), premier temps d’une maturation non encore advenue, transparaît également à travers l’emploi fréquent du futur de l’indicatif, souvent couplé à des adverbes de temps évoquant un futur plus ou moins lointain (bientôt, de brief, peu à peu), ou de certains verbes (parfaire, mettre à chief). Autant de termes signifiant l’attente du développement ultérieur d’un mouvement qui n’a été qu’initié, et étroitement liés en cela à la notion de progrès. Ainsi chez Du Bellay :

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« Le temps viendra (peut-estre) et je l’espère moyennant la bonne destinée Françoyse, que ce noble et puissant royaume obtiendra à son tour les resnes de la monarchie et que nostre langue (si avec Françoys n’est du tout ensevelie la langue françoyse) qui commence encor’ <à cette heure> à jeter ses racines, sortira de terre, et s’eslevera en telle hauteur et grosseur, qu’elle se pourra egaler aux mesmes Grecz et Romains, produysant comme eux, des Homeres, Demosthenes, Virgiles et Cicerons »[29].

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C’est encore le début de la floraison d’une langue française amenée à mûrir que souligne Peletier du Mans :

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« à voir la fleur où ell’ est de present, il faut croire pour tout seur que si on procede tousjours si bien, nous la voirrons de brief en bonne maturité, de sorte qu’elle suppeditera la langue italienne et espagnole […] et souverainement cela se pourra parfaire et mettre à chef moiennant nostre Poesie Françoise »[30].

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C’est également sous le signe des débuts, des germes d’une perfection à venir, que se place Etienne Dolet, dans l’épître dédicatoire de La Maniere de bien traduire d’une langue en aultre (1540) adressée à Guillaume Du Bellay. Cherchant à trouver un moyen « d’illustrer » sa langue, « honneur de son pays », Dolet affirme :

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« Doncques non sans l’exemple de plusieurs excellens personnages j’entreprends ce labeur, lequel […] tu recevras non comme parfaict en la demonstration de nostre langue, mais seulement comme ung commencement d’ycelle. Car je sçay que quand on voulut reduire la langue Grecque et Latine en art, cela ne fut absolu par ung homme mais par plusieurs ; ce qui se fera pareillement en la Langue Françoyse, et peu à peu par le moyen et travail des gens doctes elle pourra estre reduicte en telle perfection que les langues dessussdictes »[31].

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Pour cette raison, Etienne Dolet invite son lecteur à :

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« <prendre> ce mien labeur en gré, et s’il ne reforme totallement nostre langue, pour le moyns pense que c’est le commencement qui pourra parvenir à fin telle que les estrangiers ne nous appelleront plus barbares. Te soubvienne aussi en cest endroict qu’il est bien difficile qu’une chose soit inventée et parfaicte tout à ung coup. Parquoy tu te doibs contenter de mon invention et en attendre ou par moy ou par aultres la parfection avec le temps »[32].

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Le spectre sémantique des mots désignant le mouvement de re-naissance englobe donc autant le retour au passé glorieux des Anciens que la promesse d’un avenir, d’une histoire qui reste à écrire : c’est donc aussi (et peut-être avant tout) une naissance, une nouveauté portant en germe des progrès futurs, les traités sur la langue « vulgaire » soulignant bien l’imperfection inhérente à ce nouvel élan, encore inabouti.

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  1. « Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues instaurées » (Rabelais, Pantagruel, chapitre VIII, dans Œuvres complètes, éd. M. Huchon, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1994, p. 243).

  2. Précisons en préambule que cette enquête lexicale révèle avant tout la manière dont les hommes du XVIe siècle ont construit l’image positive et lumineuse d’une aube prometteuse, construction largement mythifiée qui ne correspondait que très partiellement à la réalité (bien plus sombre) de l’époque (voir Franck Lestringant, « Renaissance ou XVIe siècle ? Une modernité étranglée », Revue d’Histoire Littéraire de la France, 2002/5, vol. 102, p. 759-769).

  3. « Le temps estoit encores tenebreux et sentant l’infelicité et calamité des Gothz, qui avoient mis à destruction toute bonne litterature. Mais par la bonté divine la lumiere et dignité a esté de mon eage rendue es lettres… » (Pantagruel, ibid.)

  4. Voir B. Weinberg, Critical prefaces of the French Renaissance, Northwestern University Press, 1950 / Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, éd. F. Goyet, Paris, Le livre de poche classique, 1990.

  5. Voir sur ce point l’étude de Mathilde Bernard « Les mots en re- chez Rabelais » sur le site renaissances-upl.org (rubrique Carnet de recherche / Enquête lexicographique).

  6. L’Art poëtique françois, Livre III, éd. A. Genty, Paris, Poulet-Malassis, 1862, p. 134-135.

  7. La Deffence et Illustration de la langue françoyse, II, 12, éd. J.-C. Monferran, Genève, Droz, 2007, p. 177.

  8. Peletier du Mans, L’Art poétique d’Horace traduit en vers françois, Epître à Cretofle Perot, dans Œuvres complètes, I, éd. M. Jourde, J.-C. Monferran et J. Vignes, Paris, Champion, 2011, p. 101-102.

  9. Ronsard, Œuvres complètes, éd. J. Céard, D. Ménager et M. Simonin, Paris, Gallimard, Bibliothèque de la Pléiade, 1993, t. I, p. 997.

  10. L’Olive, « Au lecteur ». Ed. J.-C. Monferran, dans La Deffence…, op. cit. , p. 230.

  11. Peletier du Mans, Art poétique, I, V, dans Traités de poétique…, op. cit. , p. 256.

  12. La Deffence… , I, IV, op. cit. , p. 83.

  13. « Epistre de dame poesie au tres chrestien roy François, premier de ce nom, sur la traduction d’Homere, par Salel », v. 281 (dans B. Weinberg, Critical prefaces of the French Renaissance, op. cit. , p. 126).

  14. Ibid., v. 359-362, p. 128.

  15. Jean Maugin, préface au Palmerin d’Olive (1546), dans B. Weinberg, op. cit. , p. 132.

  16. Marot, Le Balladin, v. 236-237. Ce poème relate le récit d’une renaissance spirituelle : « Réveille-toy, il en est temps, amy : / Tu as par trop en tenebres dormy ! » (v. 229-230), mobilisant la même opposition métaphorique entre ténèbres et réveil, mais dans la perspective spirituelle de l’évangélisme.

  17. Les Illustrations de Gaule et Singularitez de Troye (1511-1513), Genève, Slatkine, 1969. Dans ce texte consacré aux origines mythiques des Français, J. Lemaire de Belges, s’inspirant entre autres de la Généalogie des dieux de Boccace et des Antiquitates d’Annius de Viterbe, expose la filiation prétendument troyenne des Français.

  18. Sagesse et éloquence.

  19. Livre I, Prologue à Marguerite d’Autriche, p. 7-8.

  20. Le terme est en revanche toujours vivant dans les dialectes de l’Ouest et au Québec, au sens propre de « jaillir de la terre » et au sens figuré de « reparaître après avoir disparu ».

  21. Selon Le Dictionnaire historique de la langue française, le substantif ressource est une réfection, d’après source, du féminin de resors, resours (« relevé, rétabli »), participe passé de l’ancien verbe resurdre, resordre, puis ressoudre – doublet populaire de resurgir– (« ressusciter, se remettre debout, renouveler, recommencer, se rétablir », issu du latin resurgere, « rejaillir », et au figuré « se rétablir »). La ressource désigne en ancien et en moyen français le secours que l’on obtient d’un autre pays, le relèvement, le rétablissement, le passage au sens du français moderne s’étant opéré par déplacement métonymique sur les moyens (« moyen de faire face à une situation difficile »).

  22. Dans Premiers Combats pour la langue française, éd. Cl. Longeon, Le livre de poche classique, 1989, p. 134. (Nous soulignons dans tous les passages en italique).

  23. La Deffence II, 12, op. cit. , p. 171-172.

  24. Antoine Fouquelin, Rhétorique française, dans Traités de poétique et de rhétorique de la Renaissance, op. cit. , p. 349.

  25. La Deffence, I, III, op. cit. , p. 80.

  26. P. de Deimier, L’Academie de l’Art poëtique, Paris, Jean de Bordeaulx, 1610, chap. X, p. 279.

  27. Du Bellay, La Deffence, II, XI, op. cit. , p. 169. Les « enrouées Cornemuses » renvoient ici aux formes médiévales.

  28. Du Bellay, La Deffence, I, III, op. cit. , p. 80-81.

  29. La Deffence…, I, 3, op. cit. , p. 82.

  30. Préface à sa traduction de L’Art poétique d’Horace, op. cit. , p. 102-103.

  31. E. Dolet, La Maniere de Bien Traduire d’Une Langue en Aultre, Lyon, 1540 (B. Weinberg, Critical prefaces…, op. cit. , p. 78).

  32. Ibid.

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