Rien de nouveau sous le soleil ?

Mots et usages d'une catégorie historiographique

Rien de nouveau sous le soleil ?

Rien de nouveau sous le soleil[1] ?

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L’adjectif « novel », s’appliquant à ce qui est jeune, ou renouvelé (« novele neif », « novel tens d’esté ») est attesté dès le XIIe siècle (source : CNRTL), ainsi que la locution adverbiale « de nuvel », « de novel », signifiant « récemment » ou « une fois de plus ». Quand Rabelais évoque la « nouveauté », par conséquent, ce n’est pas avec des termes inédits. Proportionnellement à la fréquence des mots en « -re[2] », cependant, les mots « nouveau », « neuf », « neuve », « nouvellement », « nouveauté », « nouvelleté », sont souvent utilisés par Rabelais. Ce fait nous invitera-t-il à infléchir la conclusion de notre fiche précédente[3] selon laquelle la « perfection se fonderait tout à la fois dans un retour aux sources et dans la pensée d’une pérennisation de cette reconstruction » ? Le concept de « nouveau » est-il affecté d’une connotation positive ? Invite-t-il à penser le changement, l’inédit, ou la jeunesse perpétuée à travers les générations, les cycles et les saisons ?

Nous verrons dans un premier temps les emplois neutres des termes de la nouveauté, en conformité avec des dictionnaires du XVIIe siècle[4], avant de considérer la façon dont le concept est valorisé puis les réticences à l’égard de la nouveauté.

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1)Des usages neutres du terme

Les usages neutres du « nouveau » sont les plus fréquents dans les Cinq Livres. Dans le Cotgrave, « nouveau » est traduit par quatre inflexions sémantiques. Les termes « new, fresh, recent » convoquent l’idée de jeunesse que l’on trouvait déjà dans les termes médiévaux évoqués par le CNRTL. « Strange » et « rare » font plutôt référence à l’étrangeté et à la notion d’inédit. « Lately, done or made » permettent d’insister davantage sur le processus que sur le résultat. Quant aux termes « uncouth, unused, unbeard of before », ils construisent un pont entre l’avant et l’après, posant la nouveauté comme ce qui vient combler un manque. Ce sont les deux premières valeurs que l’on retrouve surtout chez Rabelais, ou un mélange similaire à celui que près d’un siècle après Cotgrave, on trouve chez Furetière, qui donne comme première acception du « nouveau » ce « qui commence d’être ou de paroître, qui est né, ou qui a paru depuis peu de temps, ou qui a été nouvellement inventé », mêlant les sens 1 et 3 de Cotgrave.

Rabelais emploie à de nombreuses reprises (surtout à partir du T.L.) la locution adverbiale « à nouveau », selon un usage déjà repéré sous la forme « de nouveau » et attesté sous celle « de nouveau » dans le dictionnaire de Furetière. Le terme « nouvelles » est également très fréquent et il dénote bien, ainsi que l’exprime ce dernier l’« Avis qu’on donne ou qu’on reçoit de bouche ou par écrit, de l’état de quelque chose, d’une action faite depuis peu, de la manière de vivre d’une personne ». Les nouvelles peuvent être bonnes ou mauvaises, elles sont surtout « portées » ou « apportées », souvent dans le cadre d’une mission d’ambassade au cours d’une trêve, et attendues. Cependant, elles n’impliquent pas nécessairement un changement d’état par rapport à la dernière « nouvelle ». Dans des expressions presque lexicalisées, le « nouveau » désigne ce qui est « nouvellement imprimé » (les lunettes des Princes dans P.), « nouvellement composé » (la Pantagruéline prognostication), « nouvellement institué » (les presses de G.). Ce dernier exemple charrie cependant l’idée de l’édification à l’œuvre, pleinement positive dans un livre qui institue Gargantua en roi humaniste.

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2) La belle nouveauté

Selon Antoine Furetière, « Les choses nouvelles nous plaisent à cause du changement, & de la variété de ce qui les accompagne, & en tant que ce qui est nouveau diffère de ce qui est ordinaire » : on aime ce qui change, de façon extraordinaire si possible – le « Nouveau Monde » –, ce qui change mais aussi ce qui nous rapproche de la vérité, comme le suggère l’usage de « nouveau » associé à « converti » pour qualifier d’un point de vue catholique les retours vers le catholicisme. La nouveauté pour Rabelais est placée sous le signe du renouvellement et est marquée comme étant attrayant.

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Une nouveauté-renouvellement

L’institution des presses de G. est en effet la marque de l’avènement volontariste d’un monde ordonné et qui s’ordonne dans le temps. La presse vise à fixer l’écrit et donc la nouveauté est ici au service de ce qui va durer. C’est une découverte, qui fait date et marque un tournant.

Cependant cette nouveauté, conçue comme un point de départ est bien souvent comprise comme un renouvellement. Dans P., le héros éponyme dit à Panurge qu’ils feront « un nouveau pair d’amitie telle que feut entre Enee & Achates ». Cette décision est aussi prompte qu’étrange dans l’économie du roman, mais cette étrangeté est rattachée au mythe, donc profondément ancrée dans les temps anciens. C’est bien plus un renouveau qu’un bouleversement. À ce titre nous avions évoqué dans la fiche sur les mots en « -re » le « renouvellement du temps de Saturne » dont il est question dans Pantagruel, ce « renouvellement du signe de l’antique noblesse » qui se marque dans la bague passée au doigt de Gargantua par son père. La nouvelle amitié est profonde parce qu’elle renouvelle, parce que lui est attachée cette vision cyclique d’une reverdie mythique.

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Une nouveauté attrayante

Qu’il soit explicitement un renouvellement ou non, le nouveau est souvent associé à des valeurs positives. C’est explicitement l’expression de la reverdie, que ce soit dans l’arbre « nouvellement planté » (T.L., chap. 1) ou les « fruits nouveaux » (T.L. 13), dans la considération des « nouveaux mariés » (TL 6) ou des enfants « nouvellement né(s) » (TL 1 ou « nouvel advenement » de G. 1) ou l’expression d’un retour de la force. Le « nouveau courage » est ainsi mentionné pour l’attitude de Gargamelle à la naissance de Gargantua (G. 5), et pour Pantagruel à la lecture des lettres de son père (P. 8).

Les mots exprimant la nouveauté sont généralement associés à des termes positifs : ce sont les « joyeuses et nouvelles chroniques » mentionnées dans le prologue de G., les « bonnes nouvelles », les « mille petites gentilesses, & inventions nouvelles », le « bon vin nouveau » dans G., les « nouveaux rafraîchissements et aiguillons d’amour » ou la « nouvelle joie » dans le T.L., le « nouvel accroissement d’allégresse » dans le Q.L. et dans le C.L. enfin, la « nouvelle religion » des frères Fredon dont la vision rend « joye(ux) ».

Cependant plusieurs acceptions, assez nombreuses malgré tout introduisent plus nettement la question de l’étrangeté et de la monstruosité, voire de ce qui est à rejeter.

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3) L’inquiétante étrangeté du nouveau

D’après le narrateur de G., nous « savons » qu’ « Africque aporte tousjours quelque chose de nouveau » ; il s’agit ici de la jument du héros. Dans le C.L. cependant Pantagruel parle à nouveau de la nouveauté en lien avec l’Afrique et il le fait en ces termes qui, eux, apportent quelque chose de nouveau : « Affrique, est coustumiere tousjours choses produire nouvelles & monstrueuses. »

La jument de Gargantua, venue d’Afrique, faisait partie de ces espèces « monstrueuses ». L’étonnement serait la source d’un étonnement probablement négatif, la nouveauté étant associée à ce caractère hors norme. Le caractère négatif qu’on lui attache ne subsiste cependant pas bien longtemps car on ne peut oublier que cette jument, qui certes a détruit toute la forêt de Beauce, est l’alliée d’un autre géant, son maître, certainement positif.

Le nouveau n’est pas nécessairement étrange, mais il peut l’être, comme l’exprime le narrateur du C.L. : « Cela ne me sembla estrange, mais je trouvay bien nouvelle la maniere comment la dame mangeoit. ». Pantagruel, quant à lui, exprime clairement sa réprobation envers la nouveauté, dans le T.L., devant l’accoutrement de Panurge, sa « prosopopée » (chapitre 7) : « me desplaist, dit-il à Panurge, la nouveauté & mespris du commun usaige ». La nouveauté comprise comme rupture et non comme renouvellement apparaît comme une provocation et en tant que telle est à fustiger.

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Plus blâmable encore dans les Cinq Livres est la recherche systématique du nouveau, alliée justement à l’étrangeté : elle est action irraisonnée. Dans la Pantagrueline pronostication, on trouve ces lignes : En France,

le premier propos qu’on tient a gens fraischement arrivez sont. Quelles nouvelles ? scavez vous rien de nouveau ? Qui dict ? qui bruyt par le monde ? Et tant y sont attentifz, que souvent se courroussent contre ceulx qui viennent de pays estranges sans apporter pleines bougettes de nouvelles, les appellant veaulx & idiotz. Si doncques comme ilz sont promptz a demander nouvelles autant ou plus sont ilz faciles a croire ce que leur est annoncé, debvroit on pas mettre gens dignes de foy a gaiges a l’entree du Royaulme qui ne serviroyent d’aultre chose sinon d’examiner les nouvelles qu’on y apporte, & a scavoir si elles sont veritables ?

La précipitation des questions invite à penser que la poursuite de la nouvelle et de la nouveauté a trait à l’attitude d’une foule face à la rumeur. Il s’agit davantage de savoir « qui parle » que ce que l’on dit. Ce qui intéresse n’est pas la nature de la nouveauté mais le fait qu’il y ait du nouveau, et c’est alors la spirale de la rumeur qui s’enclenche. Cette recherche de la nouveauté s’accroit en présence de gens venus de « pays estranges » comme si le sentiment d’exceptionnel allait en être accru. Le résultat est que la nouvelle, comme la rumeur, est souvent fausse.

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Finalement, il semble qu’il faille prendre garde à la nouveauté. Le renouvellement, le retour et le retour des sentiments de légèreté associés à la reverdie, sont une bonne chose, mais il faut se méfier de ceux qui croient à l’inédit, à l’inouï car en réalité rien n’est jamais vraiment nouveau, comme une fois de plus la Prognostication nous en informe :

La plus grande folie du monde est de penser qu’il y ait des astres pour les Roys, Papes, & gros seigneurs, plustost que pour les pauvres & souffreteux, comme si nouvelles estoilles avoient este creez depuis le temps du deluge, ou de Romulus, ou Pharamond a la nouvelle creation des Roys. 

S’il n’y a pas de nouvelles étoiles dans le monde de Rabelais, elles réapparaissent néanmoins chaque soir et c’est chaque soir qu’il faudra les accueillir comme une renaissance.

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  1. Les références aux œuvres de Rabelais sont dans le fichier Excel correspondant. Elles ont été saisies à partir du site des Bibliothèques virtuelles humanistes. Les abréviations sont les suivantes : G. pour Gargantua, P. pour Pantagruel, T.L. pour Tiers Livre, QL pour Quart Livre et CL pour Cinquième Livre.

  2. Voir la fiche correspondante sur le site.

  3. Ibid.

  4. Randle Cotgrave, A Dictionarie of the French and English Tongues, London, Adam Islip, 1611 et Antoine Furetière, Dictionnaire universel, 1690 ; édition utilisée en ligne : édition de 1727, revue et augmentée par Henri Basnage de Beauval & Jean-Baptiste Brutel de La Rivière.

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